Cette série porte sur Élise, une amie rencontrée lors de nos études de photographie à l’ENS Louis-Lumière. D’où le nom de cette série : “Louis ma lumière”. J’aurais pu trouver un nom de série qui contient Elise, ça prête un peu à confusion comme ça. Mais Louis est presque un personnage.
Louis est notre socle. Sans Louis, pas d’histoire. Lumière, c’est pour le jeu de mot surtout, car Louis a autant été une lumière qu’un trou sombre. Elise, Louis, les autres et moi, nous avons formé une famille pendant trois ans.
C’est une série à quatre mains. Elise est présente à l’image et au texte grâce au partage de son journal écrit pendant ces années d’étude, moi je suis au texte et à la photographie.
Nous émergeons toutes deux au milieu des autres, ces potos devenus peu à peu une famille, une armure, un carcan, grâce aux nombreuses 8.6 avalées et à nos danses effrénées sur Céline Dion. Aujourd’hui, trois ans plus tard, mon amour pour eux n’a pas fléchis, mais il a évolué, il est devenu plus mature, donc plus distancié. En fait c’est surtout mon regard sur lui qui a changé. En 2020, trois ans après mon diplôme obtenu en 2017, je réalise cette série qui leur rend hommage. Et je questionne le rôle de la communauté dans la construction individuelle de tout un chacun.
Elise est de six ans ma cadette et de deux promos inférieures à moi. J'ai capturé son image et celle de nos amie.s durant trois ans, lors de nos études en école de photographie.
Etait-ce un transfert que j'opérais sur elle, tentais-je de rattraper mon reflet, de retrouver le moi aspiré par l’effet direct du système collectif ? Un groupe quelconque est tenté de se penser sur le modèle de l'individu et d'étouffer ainsi en lui la pluralité des individualités. Ensemble sans relâche, nous ne faisions plus qu’un, une grande famille. Malgré les apparences, ce n’était pas que du bonheur. Pas à cause des autres - bien que le système éducatif soit sclérosé. Durant ces trois ans, notre grande famille a vécu sous un tunnel, matérialisation d'une école qui étouffe et nous coupe du monde extérieur. La douce ivresse nous protégeant de la réalité ô combien nébuleuse, nous nous laissions porter par la légèreté de nos êtres tandis qu'à l'intérieur de nous bouillonnait un paradoxe : sortir du tunnel pour enfin se forger en tant qu'individus indépendants tout en souhaitant retarder le moment fatidique, où il faudrait se confronter seuls à un système professionnel essoufflé, prometteur d'un avenir incertain.
Alors, dans un souffle de survie, le groupe s'organise, expulsant de son giron toute forme de négativité et d'autorité. C'est si facile et amusant de régresser, de faire perdurer l'immaturité. On se goûte, on s'aime à la folie, on s'abandonne dans une bienveillance immaculée, attendant, dans le déni, l'heure de la rupture, celle de l'époque où l'ami camarade devenu vite voisin, coloc, concubin, traverse nos intimités respectives et respectées du matin au soir, pendant les vacances, à travers les saisons.
Malheureusement, aucun demi tour n'est possible dans un tunnel, la réalité émerge et la sortie est inexorable. Le désemparement, la peur de l'après, le doute, toutes représentations sociétales imposées finiront par perçer. C'est insidieux, c'est douloureux la manière dont tous ces sentiments s'insinuent partout en nous. Dans cette condition, comment se forger en tant qu'individu ? L'Homme qui se suffit à lui même ne ressent aucun besoin des autres parce qu'il est un Homme complet. Le savait-elle, elle, mon Elise, encore si jeune, qu'une identité se façonnant en seul à seul, quand le groupe s'efface, c'est un déchirement, un sentiment de perte de repères ? Finalement la famille Louis-Lumière perdure après la rupture et le « nous » peut enfin se vivre réellement et pleinement grâce à la mise en commun. Le « fameux réseau » opéré et mis en place par de multiples belles individualités affirmées et grandies.
Un visage parmi tant d'autres, deux voix unies pour dire une expérience de la jeunesse. Au delà d’une histoire d'amitiés et d’identité, cette série parle plus globalement du parcours de jeunes adultes qui font le choix de la passion, de l'art et du partage des sens et des idées plutôt que de la capitalisation que l'on tente de nous imposer.